Un balcon en forêt

Sarah, Suzanne et l'écrivain

Sarah, Suzanne et l'écrivain

 

Qu'est-ce qui pousse un écrivain à raconter l'histoire d'une femme aux prises avec la société de son temps, d'une façon qui l'emmène, ce personnage féminin, vers une sorte de folie, d'hystérie aurait-on dit au XIXème siècle ? Flaubert en son temps s'était penché sur le cas de Mme Bovary, reflet des femmes de la bourgeoisie provinciale, en s'imaginant devenir celle-ci, pour mieux retracer ses pensées, ses actes, son comportement, jugé de l'extérieur irrationnel, incompréhensible, enfermée qu'elle était dans un système profondément destructeur.

 

Peut-être, pour Eric Reinhardt, est-ce aussi une sorte de fascination pour ce qu'il sent être de son temps et de tous les temps, ce désenchantement, ce moment où l'amour se transforme en rapport de domination, se transforme en autre chose qui ressemble à une confrontation cruelle entre deux êtres qui y avaient cru, au moins l'un des deux. On trouvait déjà ceci dans son précédent livre L'amour les forêts et on le retrouve dans ce roman.

 

Dans Sarah, Suzanne et l'écrivain, l'auteur dévoile, à la fois son procédé d'investigation, son rapport au réel et à la fiction, et l'imaginaire d'un personnage féminin qui découvre qu'elle est lésée économiquement puis sentimentalement dans son couple.

 

Sarah raconte à l'écrivain son histoire, c'est elle semble-t-il qui veut la lui raconter. Et lui, il écoute d'abord, et il invente ensuite. Après avoir écouté et questionné, vérifié qu'il a bien compris, il crée un personnage, Suzanne, qui ressemble à Sarah mais qui n'est pas elle. Ainsi est-il libre, tout en suivant la ligne directrice indiquée par Sarah, de ne laisser percer de l'histoire que ce qui clarifie le propos, le transforme en « archétype », afin que chacun et surtout chacune puisse retrouver un quelque chose qui lui appartienne. Le processus est ainsi révélé, et c'est dans un dialogue entretenu tout au long du roman avec Sarah que Suzanne va prendre corps.

 

Les choses se compliquent quand on se rend compte que la mise en abyme est double dans ce roman. C'est celle de l'écrivain se racontant écrire, mais aussi celle de la femme artiste, Sarah et aussi Suzanne qui cherchent sa vérité dans son œuvre ou dans un tableau qu'elle achète et qui lui révèle petit à petit sa propre histoire. Une sorte de Peau de chagrin , pour faire référence à Balzac cette fois-ci, et c'est le mot chagrin qui est important. Car c'est le chagrin profond de celle qui se sent flouée que l'auteur raconte, jusqu'à l'extrême et avec une extrême élégance. A vrai dire, c'est peut-être un peu trop de mises en abyme, mais cela se tient.

 

Sarah ou Suzanne, je ne sais plus, a inventé une œuvre qui cadre le paysage et l'éclaire, l'illumine seulement quelques secondes quand on met des pièces dans un horodateur. C'est peut-être ce qu' a voulu faire l'écrivain, jeter de la lumière crue sur un drame intime et si vrai.

 

Malgré sa structure complexe, c'est un roman qui a beaucoup de qualités et qui permet à son lecteur ou à sa lectrice de prendre de la hauteur et de se questionner sur la vie...

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